Rendez-vous avec X

Publié le par Nol&Rob

Au cours de notre voyage au Cambodge, nous avons croisé bon nombre d'expatriés. 
Certains sont sympathiques, beaucoup sont plutôt condescendants envers les gens de passage et tous ont des avis très tranchés sur le pays. Qui divergent d'ailleurs bien souvent, comme vous allez vous en rendre compte. Nous invitons dans le blog deux d'entre eux le temps d'un poste, sous les pseudonymes de Monsieur et Madame X. Nous avons tenté de résumer ici nos conversations sous la forme d'un interview. Tous deux ne se connaissent pas. Monsieur X est un restaurateur installé au Cambodge depuis près de quatre ans, il a monté son affaire il y a tout juste six mois. Madame X, propriétaire de guesthouse, est arrivée il y a onze ans alors qu'elle travaillait pour une multi-nationale.

Ca a été facile de monter votre affaire ?

M. X: Pas vraiment. La police, corrompue, réclame un prélèvement annuel.  La première année, ça a été deux cents dollars, soit disant pour assurer notre "protection". J'ai aussi dû monter mon affaire avec un associé du pays. Je m'estime heureux, le mien est un très bon travailleur et nous avons un véritable esprit de famille (NdA, il les appelle "Papa" et "Mama" !).

Mme X: Je n'ai pas eu à prendre d'associé Khmer et n'en voudrais pour rien au monde. Les khmers sont individualistes et ne sont loyaux qu'avec leur famille et leur "clan". Il possible de rentrer dans leur clan, mais ça prend des années. Si vous vous associez avec un Khmer, il abusera de votre confiance un jour ou l'autre.

Vous donnez souvent des bakchichs à la police ?

M. X: Les flics reçoivent un salaire de misère qu'ils augmentent considérablement avec les bakchichs. 


Mme X: Ici le bakchich fait partie de la culture du pays. C'est comme ça que les choses marchent. La corruption est simplement un système différent du notre. Si je devais retourner dans mon pays et être arrêtée par les flics, mon instinct me ferait sortir un billet de la poche !

On connaît deux jeunes motocyclistes qui ont dû payé dix dollars parce qu'ils n'avaient pas leurs permis. Les policiers réclamaient même des bières.

M. X: Typique, les flics épinglent les touristes qui ne savent pas qu'il n'y a pas besoin de permis pour conduire une mobylette au Cambodge. Mais vous savez la corruption est à tous les niveaux. Le gouvernement avait lancé un projet d'aéroport pour justifier le rachat de terrains à bas prix – ou plus exactement gratuitement puisque personne ne pouvait produire les titres de propriétés. Ils ont ensuite été revendus à prix d'or et le projet est tombé à l'eau. Mais les bénéfices sont tombés dans les poches de politiciens.

J'imagine que tous les expats sont dans le même bateau. Vous n'êtes pas nombreux, est-ce que vous vous entraidez ?

Mme X: Oui, j'ai de très bons amis expatriés. Connaissez-vous la hiérarchie des expats ? Tout en bas, les plus méprisés, sont les salariés d'ONG, puis suivent de près les professeurs d'anglais. Viennent ensuite les ambassades, les tenants de bars puis ceux de guesthouses. Ensuite, on trouve les chefs de restaurants (NdA, c'est là que se place notre source), et tout en haut de l'échelle, vous avez les journalistes et écrivains. La star étant le journaliste qui était déjà là sous Polpot. Plus on reste longtemps évidemment, plus on gagne en galons. Le plus pénible à voir, ce sont les gens qui ne savent pas ce qu'ils font et ne connaissent pas le pays. C'est le cas de toutes les ONG qui s'en mettent plein les poches avec l'argent de la mauvaise conscience internationale. Vous savez que n'importe qui peut monter une ONG ?

M. X: Houla, pas du tout ! C'est la guerre entre expatriés et tout le monde se tire dans les pattes. Les expatriés n'aiment pas la concurrence. C'est précisément à cause de mauvaises relations que nous avons dû abandonner notre première affaire au Cambodge. J'avais fait confiance à un expat et bien mal m'en a pris. Mais on a aussi des amis expatriés. Notre voisin et meilleur ami s'occupe de manière désintéressée d'enfants cambodgiens dans la rue. Croyez le ou non, mais un américain a essayé d'insinuer qu'il était pédophile. Ici, ça peut aller très loin ce genre d'accusation.

Ce sont les gosses qu'on voit en ce moment dans la rue ?

M. X: Oui, le plus petit, le tout nu, cherchait à manger dans les poubelles à un an et demi. Dès que sa mère termine d'allaiter un enfant, elle l'abandonne à la rue et retombe aussitôt enceinte. Sans le voisin, ce petit ne serait plus là. Vous vous rendez compte, faire les poubelles à cet âge là! Et il y a un vrai trafic d'enfants. Je suis persuadé que sa mère vendrait le gosse pour cinq cents dollars. L'adoption légale d'enfants cambodgiens est très longue et compliquée, ce qui favorise le marché parallèle.


Il y a de tout au Cambodge, des familles comme celle de tout-nu dont le père sniffe de la colle et dont la mère sans emploi va toutes les semaines chercher de l'argent à l'ONG du coin. D'ailleurs, si vous voulez mon avis, je pense que les ONG font plus de mal que de bien. Vous saviez que c'est au Cambodge qu'il y a le plus d'ONG au monde ? 


Mais, heureusement, il y a aussi un gars comme mon associé, travailleur, et qui ne prendra femme et enfants que lorsqu'il estimera que sa situation le lui permettra.

Est-ce que vous pensez que le procès des Khmers rouges qui se passe en ce moment est important pour les gens ? 

M. X: Pas du tout. Ce procès est une mise en scène destinée à l'international. A part la génération qui a connu le régime, les jeunes n'en savent rien. Les anciens n'en parlent pas et l'école ne l'enseigne pas du tout (NdA, pour la première fois cette année, le passé Khmer Rouge entrera dans les livres d'école).


Mme. X: Ce procès ne sert à rien. Ce n'est pas comme ça que les gens fonctionnent. La façon Khmer de gérer l'après-guerre consiste à ne plus parler de ce qui s'est passé. Ils ne pardonnent pas mais étouffent leurs sentiments d'injustice et de vengeance pour pouvoir passer à autre chose et pouvoir vivre tout simplement. Ils pensent que le fait d'en parler finirait en bain de sang. Mais le passé est transmis par la famille (NdA, les avis divergent...).

C'est aberrant que l'histoire du génocide ne figure pas dans les livres d'école, du moins jusqu'à maintenant. Quand on pense que c'était il y a seulement trente ans... C'était assez choquant à Phnom Penh que tous les tuk tuks nous interpellent : "Killing fields, sir, want to go to killing fields ?" Comme si c'était le parc Astérix. (NdA – Les Killing Fields, aussi appelés S21, était un des camps d'extermination sous Polpot. Des dizaines de milliers de khmers ont été exécutés dans des conditions atroces jusqu'en 1979.) C'est la course qui vaut le plus cher pour les tuktuks de Phnom Penh, alors au diable la pudeur.

Mme X: Les chauffeurs de tuktuks sont des bon à riens. Money money money, c'est tout ce qu'ils ont dans la tête. 

M. X: Holala, qu'est-ce que c'est triste ce qu'on dit ! Mais vous savez, après, il faudra qu'on vous raconte  à quel point on est contents d'habiter ici et combien les Khmers sont gentils. Ils prennent la vie au jour le jour, comment ne pas être zen ?

Je vous ressers un pastis ?

Publié dans Cambodge

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L
<br /> C'étaient au moins de vrais policiers??? reportage très intéressant que nous avons pu comparer avec les dires d'expatriés Cambodgiens qui ne pensent qu'à retourner à Phnom Penh et vous nous donnez<br /> aussi envie de visiter ce pays.<br /> <br /> <br />
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